Carnet de route

La traversée de la Meije
Le 11/10/2022 par Laurent Hesse, Laurent Calvignac, Simon Pligot
Journées des 16 et 17 juillet 2022
Récit de Laurent H
Cette année, nous nous sommes fixés un objectif ambitieux avec l'ascension de la Meije par la voie normale de la face sud suivie de la traversée des arêtes.
Simon et moi prenons la route samedi matin afin de rejoindre Laurent Calvignac qui se trouve déjà à La Bérarde, mais avant cela, nous décidons de faire un détour du côté des Aravis avec en point de mire une grande voie à la pointe centrale Sapey, Délit de fuite (TD-, 6a, 350 m).
Arrivés sur place en début d'après-midi, nous faisons l'approche vers le départ de la voie pour effectuer quelques repérages et prendre nos marques dans les deux longueurs d'Entrez dans la danse (D, 5c, 80 m).
Le lendemain, après un bivouac sommaire et une approche assez rude, nous arrivons au pied de Délit de fuite. La première longueur en 5c me surprend, car elle est raide et soutenue. Je ne le sais pas encore, mais elle donnera le ton des 10 longueurs qui vont suivre. Simon et moi alternons les longueurs en tête.
Dans notre progression, les passages en 6a que nous rencontrons sont en réalité des pas de blocs difficilement franchissables. Bref, l'enchaînement à vue ne sera pas pour cette fois.
Au bout de la 7e longueur, je sens une grosse baisse de régime et me rends compte que je suis complètement déshydraté.
Il fait déjà horriblement chaud et ma réserve d'eau d'1 litre est presque vide. Simon a encore un peu d'énergie et finira les 4 longueurs restantes en tête dont une longueur interminable de 50 mètres à faire au mental car les points sont très espacés.
Dernière longueur, enfin les cannelures pour lesquelles la pointe centrale du Sapey est connue. C'est pour elles que nous sommes venus.
Nous oublions un peu notre fatigue, la chaleur harassante et nos pieds, pour prendre un plaisir fou dans une grimpe tellement particulière, et atteindre le sommet.
Petite pause avant d'entamer la descente qu'il ne faut pas négliger selon le topo... En effet, avec l'absence d'eau, l'exposition et la complexité du cheminement, nous rejoignons la voiture au bout de 2 h 30 . Après quoi, il nous a fallu encore rejoindre Laurent C. qui nous attendait à La Bérarde.
19 juillet, refuge du Châtelleret
Récit de Laurent C
Peu avant le lever du jour, nous marchons sur le sentier menant au col du Clôt des Cavales. Après le contournement d’un éperon, la trace monte dans une combe suspendue et disparaît dans un pierrier. Quelques cairns plus loin, nous gravissons un couloir équipé de câbles, en rocher douteux, puis nous sortons au col accueillis par les premiers rayons du soleil.
L’avant veille, Laurent H et Simon m’avaient rejoint au camping de la Bérarde dans la soirée et nous avions profité de la matinée suivante pour nous reposer et faire la lessive nécessaire. Après mes 7 jours de stage dans cette même zone des Écrins, je ne boudais pas mon plaisir de faire enfin une grasse matinée et de profiter du moelleux de l’herbe du camping. Puis nous avions quitté le village en début d'après-midi, dans la chaleur, pour la courte randonnée menant au refuge du Châtelleret. Afin que Laurent H et Simon puissent se mettre en jambes pour la Meije, tout en me laissant quelques journées plus tranquilles après mon stage, nous avions convenu de faire une course facile au départ du refuge le plus proche du secteur : la voie normale du pic nord des Cavales.
Du col du Clôt des Cavales, l’itinéraire impose de descendre une centaine de mètres en versant est pour remonter vers la base de l’arête sud. Ce qui était autrefois le glacier du Clôt des Cavales n’est plus maintenant qu’une pente de blocs en équilibre les uns sur les autres, qu’il est très pénible de traverser. Sur l’arête sud, le rocher est excellent, l’itinéraire évident, l’escalade ludique et facile à protéger et rapidement, nous sommes au sommet. En face de nous, la vue sur la face sud de la Meije appelle nos commentaires sur l’objectif des prochains jours, l’observation des conditions, l’excitation mêlée à l’inquiétude quant à l’ampleur de la voie qui nous attend. Mais pour faire les choses dans l’ordre, il nous faut d’abord redescendre de notre belvédère. Ayant pour ma part déjà parcouru cette voie à la descente, quelques souvenirs nous permettent de trouver la voie la plus commode, les rappels dits du « grand dièdre » ou du « trou d’eau glaciaire », qui nous déposent dans la combe du glacier des Cavales d’où nous retrouvons le sentier pour revenir dormir au camping.
Le 20 juillet, nous sommes dans la télécabine de la Grave, le voyage vers le sommet de la Meije commence. Rejoindre le refuge du Promontoire depuis la Grave par les Enfetchores est déjà en soi une petite course d’alpinisme. Une courte approche mène au pied d’un éperon rocheux de 500 m, les Enfetchores, qu’il faut escalader en suivant un itinéraire astucieux jusqu’à prendre pied sur le glacier. Ici nous ne pouvons que constater les dégâts que la canicule qui sévit depuis la fin du printemps a provoqués. Les crevasses sont béantes et la glace est à vif à de nombreux endroits. Nous progressons prudemment, la corde bien tendue, jusqu’au pied de la brèche de la Meije. Une cordée est déjà engagée dans le passage de la brèche, qui semble mauvais. Nous attendons qu’ils soient suffisamment décalés par rapport à nous pour éviter les chutes de pierres puis nous nous lançons à notre tour. Il faut d’abord franchir la rimaye, puis prendre pied sur un amas de roches et de terre qui ne semblent tenir ensemble que par leur bonne volonté. Afin de ne pas trop les brusquer, nous enlevons les crampons, raccourcissons la corde et grimpons avec mille précautions. Le soulagement est palpable quand nous arrivons finalement à la brèche.
De l’autre côté, la descente n’est pas difficile, mais elle demande encore de l’attention avec ses dalles couvertes de gravillons. Au moins, on y trouve çà et là quelques points d’assurage. Nous trouvons un rappel sur la rive gauche des dalles, prenons pied sur le glacier des Étançons puis remontons vers le légendaire refuge du Promontoire.
21 juillet, refuge du Promontoire
Récit de Simon
Cela fait plusieurs jours que nous lisons et commentons le topo, nous savons que plus que les difficultés techniques de l’escalade c’est la rapidité d’évolution, le recherche d’itinéraire et les manipulations de cordes qui sont les points clés pour cette journée.
La voie est cotée D- 4a max 1000m de dénivelé et doit durer 12 h.
Nous nous réveillons à 4 h et après un rapide petit déjeuner nous nous équipons et nous sommes à l’attaque à 4 h 30. La marche d’approche est excessivement courte, la voie part de la terrasse du refuge !
Les frontales sont allumées, Laurent C. part en tête dans la nuit.
Malgré nos doutes, l'itinéraire ne pose pas de problème, nous franchissons le pas du Crapaud, traversons le Campement des demoiselles, jusqu’à arriver au niveau du couloir Duhamel où Laurent me passe le relais pour prendre la tête.
Le jour est arrivé, nous progressons dans la lueur de l’aube. L’escalade est plaisante, en tête de cordée on recherche la direction générale, les traces de passages, les vieux pitons, les possibilités pour placer ses protections. Nous déroulons ainsi jusqu’à la dalle Castelnau où nous sommes rattrapés par 2 cordées de 2 personnes. Nous les laissons passer et Laurent H. prend la tête.
De fait, nous nous retrouvons derrière 4 personnes et perdons un peu cette « lecture » du terrain. La première cordée, 100 % féminine, passe toutes les difficultés anneaux à la main en corde tendue mais la deuxième se met à tirer des longueurs juste devant nous. Nous trépignons quelque peu sur ce contretemps puis lorsque nous sommes dans le passage à notre tour (en corde tendue) nous comprenons leur choix. Nous passons malgré tout et arrivés en haut du passage on se rend compte que l’on a loupé un passage plus facile qui contournait la difficulté. (Le soir nous pourrons constater que le passage emprunté est coté V+)
Finalement nous repassons la cordée qui nous précède et à partir de ce moment nous serons absolument seuls jusqu’aux rappels finaux.
La suite, aérienne, déroule bien jusqu’au glacier carré.
Sur le glacier les conditions sont bonnes mais à mi-chemin Laurent C. qui est alors en tête rencontre un problème avec son crampon droit qui s’obstine à vouloir s’échapper. Une petite pause pour gérer ce problème nous permettra de finir la traversée du glacier mais nous rappelle qu’il faut toujours rester vigilant. Les premiers mètres d’escalade sur l’autre rive du glacier maintiennent cette vigilance élevée avec un rocher très « péteux », il faut tester toutes les prises, pousser plutôt que tirer, être attentif. Le rocher s’améliore assez vite, nous sommes alors à moins de 100 m du sommet, dans son ombre et avons hâte de basculer vers les parties au soleil. Enfin, à 12 h nous atteignons le sommet du Grand Pic. Nous sommes tous les trois émus d’être là. Quelques photos, un petit encas et puis retour à la lecture du topo, il faut se reconcentrer, il reste la moitié de la course à faire. À savoir la traversée des arêtes.
Nous partons dans les 3 rappels qui nous amènent au pied de la dent Zsigmondy. Les rappels s’enchainent bien mais une fois tous les trois en bas, la corde se coince dans le dernier rappel. Il faut alors remonter décoincer le brin, Laurent H. s’y emploie avec aisance et doigté. Quelques superbes pas sur un fil de rasoir nous permettent de rejoindre le contournement de la dent Zsigmondy. Nous rejoignons le câble équipé à demeure pour chausser les crampons plein gaz. Laurent H. est en tête dans cette traversée plein nord qui se redresse pour finir par un mur en glace vive. Nous sommes en face nord à près de 4 000 m mais l’attention et les efforts qu’il faut produire sont largement suffisants à nous réchauffer !
Après cet athlétique passage, je reprends la tête pour la traversée des arêtes. L’escalade n’est pas difficile, le cheminement à peu près évident, mais l’ambiance et le panorama sont uniques. Il nous faut plusieurs fois nous désencorder pour tirer un rappel puis nous ré-encorder . Le temps passe et nous parvenons à 17 h 30 au sommet du Doigt de Dieu. À partir de là nous voyons en contrebas petit et perché le refuge de l’Aigle qui sera notre accueil pour la nuit. Nous espérons bien y parvenir avant qu’elle n’arrive. Nous enchainons rappels, un peu de « marche » et recherche du relais suivant. Nous sommes rattrapés durant les 2 derniers par une cordée espagnole qui vient de la face sud de la Meije.
Heureusement car notre corde se coincera à nouveau dans le dernier rappel et la cordée qui nous suit la décoincera.
C’est ensuite un assez long cheminement complexe entre les crevasses du glacier de la Meije pour rejoindre le refuge. Les autres alpinistes présents au refuge nous accueillent avec chaleur quand nous parvenons au refuge de l’aigle à 21 h après 16 h 30 d’efforts. Un bon nombre sont déjà couchés et nous ne tardons pas à les rejoindre après avoir englouti notre part de repas gardé au chaud.
Le lendemain 22 juillet nous prenons un peu de temps avant de repartir. La descente ne se montre pas si anodine que le pensions. Il nous faut à nouveau contourner d’énormes crevasses sur le glacier qui est déjà très ouvert en cette mi-juillet. Puis enfin, après quelques pas de désescalade, nous atteignons une sente qui devient un sentier puis un chemin le long de la Romanche nous ramène à notre point de départ.
Évidemment le premier café rencontré subira nos assauts à la recherche d’une bière bien méritée d’où nous pourrons voir l’itinéraire parcouru.